Appel à communications

La signature d’un traité de paix ne coïncide pas nécessairement avec la fin de la guerre. Telle est l’hypothèse qui gouverne la notion de « sortie de guerre » développée par les historiens depuis le début des années 2000. À rebours de l’histoire diplomatique traditionnelle, les travaux sur les sorties de guerre interrogent le retour à la paix dans une perspective dynamique, en tant que processus complexe superposant différentes temporalités. Les traces des conflictualités, qui continuent d’agir sur les sociétés une fois la paix signée, sont envisagées sous quatre angles : 1) la réouverture des frontières et du retour des soldats, des prisonniers et des exilés ; 2) la recomposition de l’image de l’ennemi ; 3) la mémoire des conflits ; 4) la « démobilisation culturelle ». Cette dernière notion permet de mettre en évidence les différents rythmes de la sortie de guerre : de l’apaisement des violences physiques et symboliques, de la poussée de l’idéal pacifiste, de la réhabilitation de l’ennemi et du deuil.

Si l’art est parfois interrogé dans ces travaux, la musique en est absente. Or, la transition entre guerre est paix peut également être observée à travers les restructurations du monde musical et la production d’œuvres. La création, les pratiques et les sociabilités musicales, la consécration de nouveaux répertoires ou la reprise d’œuvres symboliques ont pu faciliter les processus de démobilisation culturelle ou, au contraire, les freiner. Le colloque « Musique et sorties de guerres » propose de combler ce vide historiographique.

Le transfert des problématiques associées à la notion de « sortie de guerre »dans le champ musical fait émerger un champ d’investigation neuf, situé à l’intersection de quatre domaines récemment défrichés par les historiens et les musicologues : celui des relations entre musique et culture de guerre ; celui de la monumentalité de la musique et de sa dimension commémorative ; celui des migrations et de l’exil ; celui enfin des liens entre musique, diplomatie culturelle et propagande. La majorité des recherches portant sur les « sorties de guerre » se concentre sur les deux Guerres mondiales, en raison des restructurations profondes qu’elles ont provoquées sur plusieurs continents. Bien que leur importance pour la musique soit indéniable et mérite d’être approfondie, des études portant sur d’autres conflits comme la guerre de Sécession américaine, la guerre du Vietnam ou encore les conflits larvés comme la Guerre froide permettraient d’enrichir les réflexions sur les mutations et les permanences politiques, culturelles et artistiques à l’œuvre pendant ces périodes historiques.

Tous les sorties de conflits froids ou chauds, internationaux et civils qui ont scandé l’actualité pourront donc être abordés, ainsi que tout type de musique (musique savante, populaire, folklorique, etc.). Une attention particulière sera portée aux études s’appuyant sur des œuvres musicales spécifiques.

Les propositions de communication pourront porter sur une ou plusieurs des thématiques suivantes : 


Musique et reconstruction : les restructurations du monde musical au lendemain des conflits

  • les enjeux de la réouverture, de la transformation ou de la création d’institutions de concert ou d’éducation musicale au lendemain de la guerre
  • les relations entre fin de conflits et explosions avant-gardistes
  • la levée des censures concernant la programmation de compositeurs ou de genres musicaux associés à l’ennemi
  • la réintégration et la perception des anciens ennemis dans le monde musical

Musique, cultures de guerres et imaginaires nationaux : démobilisations de la musique ou persistances des cultures de guerres ?

  • les représentations de l’ennemi d’hier dans la musique : entre persistance et reconfiguration des stéréotypes
  • l’épuration du monde musical à la suite d’une guerre civile ou d’un conflit armé international
  • les traces de la culture de guerre dans les écrits sur la musique
  • le rôle de la culture de guerre dans la création de nouvelles institutions musicales (sociétés de concerts, orchestres, revues)

Musique et mémoire de la guerre : les mobilisations de la musique au service du deuil et de la commémoration

  • la programmation musicale et le rôle de la musique dans les manifestations commémorant les victimes de la guerre ou les victoires
  • les évocations de la guerre et du deuil dans la production musicale (guerre d’Algérie, destin de la chanson Le déserteur, par exemple)
  • traumatisme de la guerre et rejet de pratiques et de genres musicaux festifs (ex. le choc provoqué par le retour des bals après 1945)
  • traumatisme de la guerre et évolutions esthétiques : l’œuvre musicale en son rapport avec le réel de la guerre
  • traumatisme de la guerre, musique et émotions : la musique comme moyen thérapeutique post-traumatique et comme instrument de régulation des émotions pour les soldats et les populations civiles

Musique, diplomatie culturelle et propagande : les mobilisations de la musique au service de la paix et de la réhabilitation de l’image des anciens adversaires

  • le rétablissement des circulations internationales des musiciens
  • l’émergence d’initiatives internationales et de nouvelles institutions utilisant la musique pour promouvoir la paix
  • l’émergence ou redéploiement de programmes destinés à promouvoir et à améliorer l’image d’une nation à l’étranger
  • les liens entre diplomatie musicale et propagande de guerre (le redéploiement de techniques ou d’objectifs issus de la propagande en temps de guerre dans les programmes de diplomatie musicale au service de la paix)


Bibliographie indicative
  • John Baily, War, Exile and the Music of Afghanistan: The Ethnographer’s Tale, London, Taylor & Francis, 2016.
  • John Baily et Michael Collyer (éd.), Journal of Ethnic and Migration Studies, numérospécial Music and Migration, vol. 32, n° 2, 2006.
  • Stéphane Audoin-Rouzeau, Esteban Buch, Myriam Chimènes et Georgie Durosoir (éd.), La Grande Guerre des musiciens, Lyon, Symétrie, coll. « Perpetuum mobile », 2009.
  • Annette Becker, Voir la Grande Guerre. Un autre récit (1914-2014), Paris, Armand Colin, 2016.
  • Annette Becker, Bénédicte Grailles, Anne-Sophie Leterrier et Patrice Marcilloux, Chefs-d’œuvre et circonstances, Dainville, Archives du Pas-de-Calais, 2000.
  • John Bush, The Songs That Fought the War: Popular Music and the Home Front, 1939-1945, Lebanon, Brandeis University Press, 2006.
  • Myriam Chimènes (éd.), La vie musicale sous Vichy, Bruxelles, Editions Complexe, 2001.
  • Myriam Chimènes et Yannick Simon (éd.), La musique à Paris sous l’Occupation, Paris, Fayard, 2013.
  • Michel Cullin et Primavera Driessen Gruber, Douce France: Musik-Exil in Frankreich 1933-1945 – Musiciens en exil en France 1933-1945, Vienne, Böhlau Verlag, 2008.
  • Annegret Fauser, Sounds of War. Music in the United States during World War II, New York, Oxford, Oxford University Press, 2013.
  • Danielle Fosler-Lussier, Music in America’s Cold War Diplomacy, Oakland, California: University of California Press, 2015.
  • Florence Gétreau (éd.), Entendre la guerre. Silence, musiques et sons en 14-18, Paris, Gallimard, 2014.
  • Jessica Gienow-Hecht, Sound Diplomacy: Music and Emotions in Transatlantic Relations, 1850-1920, Chicago, University of Chicago Press, 2009.
  • Étienne Jardin (éd.), Music and War in Europe from the French Revolution to WWI, Turnhout, Brepols, 2016.
  • Karine Le Bail, La musique au pas : Être musicien sous l’Occupation, Paris, CNRS éditions, 2016.
  • Andreas Linsenmann, Musikalspolitischer Faktor: Konzepte, Intentionen und Praxis französischer Umerziehungs- und Kulturpolitik in Deutschland 1945-1949/50, Tübingen, Narr, 2010.
  • Alexander Rehding, Music and Monumentality: Commemoration and Wonderment in Nineteenth Century Germany, Oxford, New York, Oxford University Press, 2009.
  • Lyn Spillman, Nation and Commemoration: Creating National Identities in the United States and Australia, New York, Cambridge University Press, 1997.
  • Manuela Schwartz, « Exil und Remigrationim Wirken Heinrich Strobels », dans Stefan Drees, Andreas Jakob, Stefan Orgas (éd.), Musik. Transfer. Kultur (Festschriftfür Horst Weber), Hildesheim, Olms, 2009, p. 385-406.
  • Thobie Thacker, Music after Hitler, 1945-1955, Aldershot, Ashgate, 2007.
  • Yvonne Wasserloos et Sabine Mecking (éd.), Inklusion & Exklusion. „Deutsche“ Musik in Europa und Nordamerika 1848-1945, Göttingen, V&R unipress, 2016.
  • William Weber, « The 1784 Handel Commemoration as Political Ritual », Journal of British Studies vol. 28, n° 1, 1989, p. 43–69.
  • Hon-Lun Yang, « Power, Politics, and Musical Commemoration: Western Musical Figures in the People’s Republic of China 1949-1964 », Music and Politics, vol. 1, n° 2, 2007.
  • Sarah Zalfen et Sven Oliver Müller (éd.), Besatzungsmacht Musik. Zur Musik- und Emotionsgeschichte im Zeitalter der Weltkriege (1914-1949), Bielefeld, Transcript, 2012.